Trump et le fardeau de l’homme blanc au Nigeria

À la veille de l’invasion impériale américaine des Philippines en 1899, le poète britannique et défenseur de l’empire, Rudyard Kipling, appelle les États-Unis à accomplir ce qui suit : Assumez le fardeau de l’homme blanc Les cruelles guerres de la paix Remplissez les bouches affamées Et faites que cesse la maladie ;

Au cours des dix années qui suivront, l’injonction de Kipling deviendra le leitmotiv de la mission « civilisatrice » de l’Occident, justifiant la course impériale à l’annexion de territoires africains et asiatiques. Sous prétexte de mettre fin aux guerres menées par des sauvages belliqueux, et de sauver des âmes perdues, les puissances occidentales exploiteront les ressources de leurs colonies. Comme l’a observé le regretté politologue Samuel Huntington, ce n’est pas la force des idées de l’Occident, mais la brutalité de ses actions, qui a permis ces conquêtes impériales.

La colonisation européenne de l’Afrique ne s’est pas contentée de faire parler les armes, puisqu’elle s’est également fondée sur la Bible, les colonisateurs estimant avoir pour noble tâche de convertir des païens infidèles au christianisme vertueux. Le président américain Donald Trump semble aujourd’hui appliquer une philosophie similaire, à travers sa menace d’une intervention militaire au Nigeria – un pays de 230 millions d’habitants, riche en pétrole et en minéraux – censée préserver d’un « génocide » la population chrétienne du pays. Employant un discours qui rappelle les justifications des appropriations impériales de territoires d’autrefois, Trump a récemment déclaré sur les réseaux sociaux que les États-Unis pourraient « intervenir armes au poing dans ce pays aujourd’hui déshonoré, pour y éliminer tous les terroristes islamistes ».

Or, si un certain nombre de conflits complexes ont effectivement fait plus de 100 000 morts au Nigeria depuis 2011, dont environ 8 000 rien qu’en 2025, Trump n’avait jamais auparavant démontré le moindre intérêt pour la préservation de la vie humaine au Nigeria, qui compte parmi les « pays de merde » dénigrés par le président américain durant son premier mandat. Son administration n’a pas hésité à démanteler l’Agence américaine pour le développement international, qui fournissait une aide humanitaire vitale à 270 000 Nigérians, et qui finançait environ 21 % du budget national de la santé du Nigeria.

Dans ce contexte, trois motivations potentielles peuvent expliquer les menaces d’invasion formulées par Trump à l’encontre du Nigeria. Il est premièrement possible que Trump s’inscrive dans une démarche mercantiliste d’accès aux minéraux de terres rares, dont environ 30 % se situent en Afrique. Son discours primaire auprès des cinq chefs d’État africains qui se sont rendus à la Maison-Blanche au mois de juillet était en effet axé sur les minéraux, tout comme ses efforts intéressés de paix entre la République démocratique du Congo et le Rwanda.

Ce n’est pas la première fois que Trump entend s’approprier les ressources naturelles d’un autre pays. Dès 2011, Trump a proposé de s’emparer du pétrole irakien afin de « rembourser » les États-Unis pour leurs interventions aux Moyen-Orient. Plus récemment, ses actions militaires imprudentes contre un Venezuela riche en pétrole, notamment la saisie d’un navire pétrolier vénézuélien dans les eaux internationales, constituent une forme de piraterie.

Le Nigeria apparaît aujourd’hui comme une cible facilement pillable. Le président nigérian Bola Ahmed Tinubu – homme politique fortement imprégné de ce que le politologue Richard Joseph qualifie de prébendisme (l’utilisation du pouvoir dans le but de générer des ressources matérielles au profit de fonctionnaires ainsi que de leurs soutiens et acolytes) – et les précédentes administrations nigérianes n’ont cessé de réprimer les insurrections de manière extrêmement maladroite. Leur incompétence flagrante et leurs malversations, parallèlement à la cupidité d’une élite kleptocratique indifférente au sort de ses concitoyens, sèment le doute sur l’avenir de la démocratie nigériane.

Le pillage des caisses de l’État par des politiciens voraces conduit à une situation de précarité de l’armée nigériane (autrefois très respectée pour ses efforts de maintien de la paix au Liberia et en Sierra Leone dans les années 1990) et de la police du pays, ce qui crée un obstacle majeur à la résolution des problèmes de sécurité. Nuhu Ribadu, conseiller à la sécurité nationale du Nigeria, accuse soldats et policiers de vendre et de prêter leurs armes à des personnes « mal intentionnées », de même que certains responsables gouvernementaux sont soupçonnés de collusion avec des terroristes. Des sanctions américaines à l’encontre de ces individus seraient largement applaudies par la population nigériane.

Lorsque l’instabilité politique règne, les agresseurs restent souvent impunis, et les dirigeants sont rarement tenus de rendre des comptes pour leur incapacité à protéger les populations locales. C’est ainsi que plusieurs groupes djihadistes tels que Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest opèrent en toute impunité dans le nord-est du Nigeria depuis des années. Ce que Trump et beaucoup d’autres oublient néanmoins, c’est que ces terroristes tuent beaucoup plus de musulmans que de chrétiens.

Dans la région centrale fertile de la Middle Belt du Nigeria, un conflit tout aussi violent a éclaté entre les éleveurs musulmans de l’ethnie fulani – soutenus par de puissants intérêts politiques et commerciaux – et les agriculteurs, principalement chrétiens, avec pour conséquence environ 12 000 morts depuis 2010. Ces hostilités portent toutefois davantage sur les terres, les droits de pâturage et l’eau que sur la religion.

Les enlèvements actuels dans le nord-ouest du Nigeria, qui se sont étendus à d’autres régions du pays, relèvent quant à eux principalement du banditisme. Bien que Tinubu affirme avoir éliminé plus de 13 500 terroristes depuis son arrivée au pouvoir en mai 2023, le nombre de morts ne cesse d’augmenter : Amnesty International estime qu’au moins 10 217 décès liés au terrorisme sont survenus au cours de la même période.

Deuxième possibilité, Trump pourrait chercher à satisfaire les chrétiens évangéliques blancs, qui demeurent parmi ses plus fervents partisans. Plusieurs think tanks chrétiens nationalistes et de droite américains, tels que l’Heritage Foundation et le Gatestone Institute, alimentent le narratif mensonger d’un « génocide chrétien » au Nigeria, un discours récemment appuyé par le sénateur américain Ted Cruz. En menaçant d’intervenir à des fins humanitaires au Nigeria, Trump se positionne comme un fidèle défenseur du christianisme.

Troisième explication possible, Trump alimenterait des préjugés racistes, jouant la carte du « sauveur blanc », dans le but de consolider sa base MAGA (Make America Great Again). Trump exprime depuis longtemps à voix haute ce que beaucoup pensent tout bas, encourageant les Américains blancs à agir selon leurs plus bas instincts xénophobes. En 2025, Trump a faussement accusé le gouvernement sud-africain noir de perpétrer un « génocide » contre les agriculteurs blancs, dont certains ont été invités aux États-Unis en tant que réfugiés, et exprimé son dégoût pour les migrants somaliens, les qualifiant de « déchets » dont il ne veut pas aux États-Unis. De même, sa nouvelle stratégie de sécurité nationale appelle ouvertement l’Europe à mettre un terme à l’immigration afin de rester « européenne ».

Chacune de ces raisons, ou une combinaison de celles-ci, suggère que les menaces d’invasion du Nigeria formulées par Trump constituent le reflet d’une mentalité impérialiste. Certains Nigérians ont beau se montrer reconnaissant envers l’aspirant empereur américain, pour avoir mis en évidence les défaillances de leur gouvernement sur le plan de la sécurité, aux yeux de Trump et de sa base MAGA (comme de ses alliés ethnonationalistes en Europe), le Nigeria n’en demeure pas moins un simple chapitre de la mission civilisatrice visant à recréer une ère de suprématie chrétienne blanche.

Par Adekeye Adebajo

À LIRE AUSSI

APPELS D'OFFRES
L’Hebdo - édition du 19/12/2024
Voir tous les Hebdos
Edito
Par KODHO

Pour les humains et pour la planète

La 27ème édition de la Conférence annuelle des Nations unies sur le Climat, la COP27, s'est ouverte il y a quelques jours à Sharm El Sheikh, en Égypte. ...


Lire la suite
JDF TV L'actualité en vidéo
Recevez toute l’actualité

Inscrivez-vous à la Newsletter du Journal d'Abidjan et recevez gratuitement toute l’actualité