Dans quelques semaines, le monde entier célébrera la journée dédiée aux personnes souffrant d’albinisme. En prélude, le président de l’ONG Bedaci évoque leur situation en Côte d’Ivoire.
La situation des albinos ivoiriens est-elle reluisante ?
L’ONG Bedaci a été créée en 2009 pour lutter contre les différentes violations des droits des albinos. Nous essayons de survivre grâce à nos propres moyens et grâce à nos partenaires, car l’aide de l’État est presque inexistante. Nous l’avons plusieurs fois sollicitée sans grands résultats. En 2014, nous avons reçu des crèmes solaires offertes par la Présidence. L’État nous attribuait des subventions à hauteur de 3 millions, maintenant c’est 2 millions ou même 500 000 francs CFA par an que nous recevons. C’est loin d’être suffisant.
Comment fonctionnez-vous ?
Nos partenaires nous viennent en aide, à travers des formations et des appuis financiers. En 2013, nous avons reçu de l’Onuci 12 millions de francs CFA, ce qui nous a permis de changer de siège. L’ambassade de France également nous soutient.
Comment vivez-vous ?
En Côte d’Ivoire, 6 235 personnes souffrent d’albinisme. La situation des albinos est plus grave que celle des personnes handicapées. Nous avons de nombreux problèmes. Il y a les assassinats rituels, la marginalisation, les soucis de santé. S’agissant des problèmes de santé, il faut savoir que 90% des albinos souffrent de myopie. Plusieurs ne peuvent pas voir à 50 mètres. Les enfants notamment sont les plus vulnérables. Ils sont souvent harcelés par leurs enseignants parce qu’ils n’arrivent pas à voir au tableau. Et c’est un véritable problème. Ensuite, vous avez les problèmes de peau. L’exposition prolongée au soleil entraîne, vous le savez, des cancers de la peau et des lésions cutanées, ce qui est fréquent ici. Nous avons eu plein de décès dus à cela.
Quels sont vos besoins prioritaires ?
Nous avons besoin de prise en charge. Il faut faire des dépistages. L’opération coûte excessivement cher, 2 à 3 millions de francs CFA. Pour nous protéger, nous devons porter des chemises à manches longues en coton et des chapeaux à bords larges. Il faut éviter l’exposition excessive au soleil. Mais surtout nous avons besoin de pommade, des écrans solaires, dont les moins chers coûtent autour de 9 000 francs CFA à la pharmacie pour une utilisation d’un mois, qu’il faut à chaque fois renouveler. Vous comprenez qu’il faut un budget pour cela. C’est grâce à nos partenaires que nous arrivons à survivre.
Vous avez parlé tout à l’heure de crimes rituels dont les albinos sont victimes. Cela existe-t-il toujours en Côte d’Ivoire ?
Malheureusement, c’est une réalité. Le phénomène a diminué, certes, mais existe toujours. Il y a environ un mois, nous avons assisté à la tentative d’enlèvement d’un enfant albinos de 7 ans à Koumassi. À la police, la dame qui a été arrêtée pour cela a nié, disant qu’elle ne voulait pas enlever l’enfant, mais lui offrir un sacrifice. Il y a un an, à Bocanda, dans la localité de N’Zécrézessou, un homme a été attrapé en train de sodomiser un enfant albinos. Ce sont des cas qui nous parviennent. Avec l’approche des élections, nous avons peur que les sacrifices d’albinos ne fassent un retour en force. La Côte d’Ivoire, c’est un cas, mais nous avons assisté tout récemment à l’assassinat d’une enfant au Mali…
Comment protéger les albinos de ces crimes rituels ?
Par la sensibilisation. Et puis, au niveau de l’Assemblée nationale, il faut voter des textes pour mieux protéger les personnes souffrant d’albinisme. La loi nous protège déjà, c’est vrai, mais il faut des lois plus spécifiques.
Raphaël TANOH