Les bateaux continuent de chavirer entre l’Afrique et l’Europe mais cela ne freine pas les volontés de jeunes à braver tous les risques. JDA a pu entrer en contact avec certains et vous propose leur histoire. Fuir la mort en bravant la mort. C’est ce à quoi ressemble l’histoire de ces derniers à qui nous ouvrons nos colonnes. Récit.
Je suis VADIE Mamadou Baba, né le 16 mars 1989 à ABOBO (République de Côte d'ivoire). Mon père se nomme VADIE Doronda et ma mère Bamba Nogossiami. Nous formons une famille de quatre (4) enfants dont deux (2) garçons et deux (2) filles. Je vie en concubinage avec ma douce Sylla Mariam et nous sommes sans enfant. Depuis plusieurs années, je suis couturier de formation de spécialités homme et dames.
Le 15 mars 2015, un soir, comme d'habitude, revenant du travail, pressé de retrouver ma petite famille, résidant à ABOBO, j’ai pris un mini Bus appelé communément gbaka à Abidjan (RCI).
Une fois sur place, grande a été ma surprise de voir une violente bagarre entre des jeunes armés d’armes blanches appelés communément « microbes » en Côte d’Ivoire. Nous nous trouvions juste au carrefour Anador entre deux groupes. L'on a pu compterun mort et des blessés à l'arme blanche. La violence avait atteint son paroxysme. Aucun véhicule ne pouvait avancer. Nous nous trouvions donc dans un embouteillage monstre. Après une heure, le conducteur de notre mini car nous a demandé de descendre car il allait faire un demi-tour parce que la bagarre lui avait fait perdre beaucoup de temps. Contraint comme tous les autres, je suis descendu malgré ma grande peur. J’ai tout de suite utilisé une ruelle qui menait chez moi. Grande a été ma surprise de retrouver, plus loin, le petit Moussa et Adama. Tous deux, jeunes habitant d’un secteur pas très loin de chez moi. Ils n’étaient pas seuls et semblaient appartenir à l’un des gangs en conflit. Ils me connaissaient très bien, de nom comme de visage.
Début des ennuis Malheur pour moi, je me trouvais au mauvais endroit et au mauvais moment. Ils tenaient en main des armes blanches (machettes, couteaux). J’ai tout de suite remarqué qu’ils étaient complètement ivres, incontrôlés. Continuant mon chemin, dans la broussaille, j’ai vu une femme couchée, apparemment violée et agonisant dans son sang. J’ai voulu la secourir. C’est à cet instant précis, que Moussa et Adama m’ont aperçu de loin. Je venais de réaliser qu’ils étaient les bourreaux de la femme poignardée. Ils se mirent à crier « Baba » « Baba », « Baba ». J’ai été stupéfait de les voir s’avancer vers moi, machettes, couteaux et gourdins en main, en scandant « c’est lui », « c’est lui », « c’est Baba ». Je me suis immédiatement mis à courir de toutes mes forces, car je venais d’être un témoin gênant d’une scène qui pourrait être un meurtre. Dans ma course, je suis tombé sur un autre groupe, une foule incontrôlée. Sans rien comprendre, ils se mirent à me tabasser. J'ai tenté de m'expliquer sans pouvoir les convaincre. Sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, elle me rouillait de coups violents sur ma nuque, partout sur le corps. De peu, je perdais la vie. Je commençais à avoir le vertige. Les gens observaient la scène de loin mais sans rien faire comme c’est le cas la plupart du temps par peur des représailles. Mon salut est venu d’une patrouille de la CRS (La Compagnie Républicaine de Sécurité). Alertée par l’attroupement autour ma personne, elle est arrivée de manière musclée. C’est ainsi que tout le monde s'est mis à fuir. Une fois sur place, les policiers de la CRS m’ont pris avec eux. Embarqué, je voyais de loin, Moussa et Adama me regardant, certainement inquiets pour leur crime, de peur que je les dénonce. De là, je me suis retrouvé au camp CRS de williasville (RCI). Arrivée au camp, j’ai fait une déposition. J'avais les lèvres gonflées et mal partout. Je ne finissais de pleurer car pour moi, c’était un déshonneur de me voir bastonner de cette manière par des gamins portant des chemises déchirées et à pieds nus ou lèkè (sandales en plastique).
Après ma déposition au camp, je me suis immédiatement rendu à l’hôpital (Le Centre Hospitalier et Universitaire de COCODY) pour des examens et recevoir des soins des mains de mon médecin traitant Docteur Lacina Bamba. J’ai été gardé durant deux jours et ensuite, je suis rentré chez moi .Grande fut ma surprise de constater que ma maison fut saccagée par des microbes qui me recherchaient selon des voisins. Pendant des jours, j’ai reçu des menaces de mort. J'avais peur quand je sortais donc j'étais constamment au commissariat pour essayer d'être mieux protégé. C’est ainsi qu’un jour, j’ai décidé de quitter le quartier. J’ai dû faire partir mon épouse chez ses parents le temps que les choses se calment et je suis allé vivre avec un ami à dans la commune de Marcory (RCI). Un mois plus tard, j’ai eu une maison. J’ai fait venir mon épouse et les choses commençaient à bien reprendre.
Rebondissement En Mai 2015, je reçois un message anonyme : « Nous savons où tu habites ». « Nous allons faire ta sauce, sale Gommon », traduction littérale (nous allons te tuer, sal renégat). Ce SMS est venu mélanger toutes mes perspectives. Je sortais désormais de chez moi avec un chapeau sur la tête pour me camoufler par peur. C’est là que je commençais à comprendre que je ne serais pas en sécurité où que j’aille. C’est une ancienne amie du quartier qui, tout en souhaitant garder l’anonymat, m’a informée que suite à ma déposition, la PJ (Police Judiciaire) s’était saisie du dossier et était à la recherche de Moussa et Adama. Ce qui a irrité le gang et me recherchait bec et ongle. Le vendredi 12 juin 2015, je reçois un appel de mon patron me demandant de me rendre d’urgence à l’atelier. C’est ainsi que j’arrive sur les lieux. Enorme fut ma détresse de constater que notre atelier a été amplement saccagé par le groupe de microbe de Adama et Moussa. Machines à coudre détruits, pagnes et argent emportés. Mon patron et les autres apprentis ont été tabassés, enregistrant un blessé grave à l’arme blanche. Avant de fuir, ces criminels (les microbes) criaient « c'est Baba que nous voulons », « C'est Baba que nous voulons » (témoignage de mon patron).
C’est suite à cela, que j’ai compris qu’il y avait une seule option qui s’offrait à moi : partir de la Côte d’Ivoire pour sauver ma vie et celle de mes proches. Ainsi, de ma belle cité d’Abobo devenue le bastion des enfants microbes, je me retrouve dans le pays des droits de l’Homme, la France. "
Il y'a trois mois, notre redaction était en contact avec ce dernier afin d'avoir son témoignagne. Nous poursuivons notre enquête avec d'autres témoignages.