Insuffisants rénaux de Côte d’Ivoire: De véritables cas sociaux !

Les insuffisants rénaux en Côte d’Ivoire veulent plus de subvention.

L’insuffisance rénale est un dysfonctionnement des reins qui n’arrivent plus à assurer le nettoyage du sang. Chargé de déchets, ce liquide vital alourdit alors tout le reste de l’organisme et le malade court droit à la mort s’il ne fait pas à temps une hémodialyse qui correspond à un nettoyage artificiel du sang. Ou, mieux encore, une transplantation de rein. Sauf qu’en Côte d’Ivoire, ces deux opérations restent hors de portée de la plupart des malades. Zoom sur un mal silencieux.

Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody. Cloîtré à l’arrière-cour du Samu, le centre d’hémodialyse se vide peu à peu de son personnel. Dans les couloirs calmes et glaçants, plusieurs générateurs de dialyse, parfois couverts, font la haie aux passants. Des filles de salle vont et viennent entre les couloirs labyrinthiques. Les visages sont fermés. Au bout d’un hall, où elles convergent, une entrée avec deux battants signale l’une des deux salles de dialyse que comporte le centre. La seconde se trouve juste à l’autre extrémité. A travers l’un des panneaux vitrés de la porte, on peut voir une dizaine de patients étendus sur des lits médicalisés. Des personnes âgées, des adultes, des jeunes filles. Avec le bras bardé de sparadraps et des seringues enfoncées dans les veines, ils passent leur dialyse. Grâce à l’autre main libre, certains manipulent leur téléphone ou lisent des revues. Cette salle et la seconde comportent 25 générateurs de dialyse. Ce qui signifie qu’elles traitent 25 patients, à raison de 4 h par séance. La première séance débute en général autour de 6h du matin pour finir vers 10h. La seconde est aussitôt programmée pour s’achever aux environs de 14h. Puis, dans l’après-midi, une dernière séance a lieu. Ce sont donc 75 insuffisants rénaux  qui sont dialysés par jour, quand tout va bien. Le centre d’hémodialyse de Cocody est le plus grand du pays. Le CHU de Yopougon, celui Treichville ainsi que l’hôpital général d’Adjamé, constituent les trois autres lieux de dialyse de la capitale. Mais Yopougon n’a que 7 machines, Treichville 9 et Adjamé 8. Le tout pour  un total d’environ 72 malades à traiter par jour. Ajoutez ce chiffre à celui de Cocody, on tourne autour 140 patients dialysés en moyenne chaque jour à Abidjan dans le public. Selon les chiffres que nous avons reçus auprès du centre d’hémodialyse de Cocody, on en était à 449 malades enregistrés à la date du 2 juillet 2018, dont 222 pour le seul centre de Cocody. Mais attention, il ne s’agit que des malades qui se sont signalés.

Le calvaire  Depuis qu’il est subventionné par l’Etat à raison de 1750 francs CFA la séance (contre environ 80 000 minimums au privé), l’hémodialyse dans le service public est de plus en plus sollicitée. Parmi ces malades, Françoise, l’une des patientes de Cocody que nous avons rencontrée après sa dialyse, a été déclarée insuffisante rénale depuis 2007. Installée à Dabou, la jeune femme vient ici 3 fois dans la semaine pour son examen. C’est dur mais il faut tenir. Après avoir lutté pour être sur la liste des dialysés, le combat est loin d’être gagné pour cette patiente. En plus des ruptures de kits qui arrivent parfois, selon elle, il faut également lutter pour payer les interventions. « Le kit de dialyse est à 40 000 francs CFA. Il faut un kit par séance. Il y a les médicaments annexes, contre la tension, le diabète, qui tournent autour de 50.000 francs le mois», explique Françoise. Ce qui revient, d’après elle, à un budget de 150 000 francs CFA minimum le mois, si le malade veut survivre longtemps à cette maladie, encore appelée « tueur silencieux ». Mais où sortir avec ces sous, quand  votre époux vous quitte et que vous n’avez plus de boulot? Françoise a connu cela. Elle vit à présent chez ses parents. D’autres patients comme elle que nous avons contactés pour témoigner de leur cas se sont rétractés. Mais la jeune dame n’est pas la seule à vivre ce calvaire sans fin. Moussa Bamba, le président de l’Association des dialysés et insuffisants rénaux de Côte d’Ivoire (Aidir), pense que le tableau est plus sombre.  « Beaucoup de nos concitoyens ont perdu leur emploi depuis qu’ils ont été déclarés insuffisants-rénaux », raconte le quadragénaire. Entre la peau qui devient flasque à cause des nombreuses dialyses et les ganglions provoqués par les seringues, dit-il, de nombreux couples sont disloqués. Et pourtant, ce n’est pas le pis pour ces malades. Parce qu’il faut lutter continuellement pour assurer les séances de dialyse, trois fois par semaine, sinon c’est la mort assurée. « Avec le manque de machines de dialyse et la pauvreté, nous enregistrons en moyenne près d’une dizaine de morts dans l’année. Le plus souvent, des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Et cela arrive en général chez les anciens dialysés, parce qu’ils n’arrivent plus à payer les médicaments», informe le porte-parole des insuffisants-rénaux de Côte d’Ivoire qui pense qu’il faut décentraliser les centres d’hémodialyse. En plus d’Abidjan, la Côte d’Ivoire dispose également de centres de dialyse à Bouaké, Yamoussoukro, Daloa et Korhogo. Et de tous ces services seuls celui de Korhogo (avec 20 générateurs) parvient à suffire à ses patients (52 malades). « L’Etat doit également penser à aller plus loin dans sa prise en charge. Beaucoup n’arrivent plus à faire face aux frais. De plus,  la greffe de reins est très couteuse et inaccessible. Il faut au moins 15 millions francs CFA», note Moussa Bamba.

L’espoir ? Malgré les dons de kits et de générateurs de la part de plusieurs ONG, le problème reste entier. « Nous avons même adressé un courrier à la Première dame Henriette Konan Bédié, présidente de l’ONG servir, à qui appartient le Centre international de dialyse et de greffe rénale. Et nous attendons depuis une réponse», soupire M. Bamba. C’est un véritable casse-tête chinois pour ces malades, devenus des cas sociaux. Face à cette situation, que fait l’Etat ? Pour le comprendre, nous avons rendez-vous ce mardi avec prof. Gnionsahé Dazé Apollinaire, chef du service public d’hémodialyse de Côte d’Ivoire, professeur de physiologie et de pathologies rénales, à l’UFR des sciences médicales de l’université de Cocody.  « L’Etat fait beaucoup pour les malades du rein, s’empresse de corriger le médecin dans son bureau. Avec les premières greffes de reins réalisées en 2012, nous sommes à 10 transplantations par an. Certes le coût est élevé, mais c’est une avancée notable. A côté de la séance de dialyse qui est subventionnée, (la moins chère dans la sous-région) il y a le prix du kit de dialyse qui aussi baissé. Au lieu de payer environ 100 000 francs CFA, les patients payent 40 000 francs ». En plus de Korhogo, Daloa, Bouaké et Yamoussoukro, d’après lui, il y a un centre qui est prévu à San-Pedro et un autre à Abengourou. Mais le chef du service public d’hémodialyse de Côte d’Ivoire reconnaît que le nombre de machines et de centres est pour l’heure insuffisant. « S’il y a plus de malades c’est parce que la population a augmenté d’une part. Et d’autre part, les gens commencent à connaître l’existence du  service public d’hémodialyse et ses avantages. Alors, il se déclarent de plus en plus », signale prof. Gnionsahé. Quant au nombre de décès, le médecin estime qu’il n’a pas augmenté. Même s’il manque de chiffres, prof. Gnionsahé insiste : « ces décès ne sont pas dus à l’insuffisance rénale, mais aux maladies qui l’ont causée. C’est-à-dire, l’hypertension artérielle, le diabète.  C’est pour cela que vous verrez  les patients mourir plutôt d’AVC. Ce n’est pas l’insuffisance rénale qui a causé ces maladies, mais le contraire. Donc, lorsque les malades parlent de la cherté des médicaments, je dis que l’Etat ne peut pas tout subventionner. Parce qu’ils avaient l’hypertension artérielle et le diabète avant d’être déclarés insuffisants-rénaux. Ils  payaient déjà ces médicaments-là. Ce ne sont pas les seuls malades, hélas », se désole le médecin. Pour prof. Gnionsahé les problèmes seront toujours là. « C’est pour cela que nous faisons de la sensibilisation. Il faut surveiller son alimentation, éviter de manger trop de sel, trop d’huile, faire du sport », explique notre interlocuteur. Et en tant que médecin-conseil du Centre international de dialyse et de greffe rénale, notre hôte du jour conclut que dès son ouverture, le centre d’Henriette Konan Bédié sera doté de 18 générateurs de dialyse. Des appareils de plus pour les malades. Et toujours insuffisant, hélas.  

Raphaël TANOH

 

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