Julien Kouao : « Selon la coutume constitutionnelle, celui qui élit peut révoquer »

Julien Geoffroy Kouao milite pour plus d’ouverture démocratique.

Juriste et analyste politique, Julien Geoffroy Kouao explique dans cet entretien la mise sous tutelle de certaines mairies et les procédures judiciaires contre certains parlementaires.

Comment est-ce que vous expliquez la mise sous administration provisoire de certaines mairies ?

La Côte d’Ivoire est un État unitaire décentralisé. Cette décentralisation est matérialisée par les communes et les régions. Et la décentralisation, par définition, est limitée, en ce sens qu'elle est régie par le principe de l'autonomie. Mais cette autonomie suppose un contrôle de la tutelle. Autrement dit, les communes et les régions fonctionnent et s'organisent sous le contrôle du pouvoir central. Le pouvoir central a la possibilité de contrôler les actes et les organes de ces institutions. Autrement dit, il peut dissoudre un conseil municipal et annuler un acte du maire.

Relativement à la mise sous tutelle de certaines mairies, c'est ce qu'on appelle des délégations spéciales. C’est-à-dire que lorsqu'il y a dysfonctionnement au niveau des organes de la commune, surtout l'impossibilité de mettre en place un organe parce que les élections n'ont pas eu lieu ou parce qu’elles ont connu certaines irrégularités qui ont empêché la mise en place des organes, on nomme alors une délégation spéciale qui permet à l'autorité centrale de gérer la commune en respectant le principe de la continuité du service public. La mise en place des délégations spéciales ne concerne pas les régions, parce que la région est une entité purement et simplement décentralisée. Alors qu'au niveau de la commune, le maire, par exemple, est un agent de l'état-civil et représente le pouvoir central. C'est à ce titre qu’il délivre les extraits de naissance et célèbre les mariages. Ce sont des prérogatives qui reviennent initialement à l'autorité centrale, les préfets et les sous-préfets. C'est dans les préfectures et sous-préfectures qu'on célèbre par essence les mariages. Mais, par délégation de pouvoir, l'autorité décentralisée, c'est à dire la mairie, peut le faire dans le sens de la continuité du service public.

Mais le cas du Plateau pose un problème de droit, en ce sens que l'élection a été régulière et reconnue par la Chambre administrative de la Cour suprême. Certes la mise en place des organes a été empêchée par des circonstances de fait, mais il appartenait à l'autorité centrale, c'est à dire au préfet d'Abidjan, de prendre des mesures policières pour pouvoir installer le nouveau conseil municipal. Ce qui n'a pas été fait. Je pense qu'ils doivent le faire de façon urgente parce qu’il ne revient pas par essence à une autorité déconcentrée de gérer une entité décentralisée. Cela représente une anomalie.

Cela a abouti à des procédures judiciaires à l'encontre de certains élus. Est-ce que cela ne donne pas l'impression qu’il y a du harcèlement autour de ces personnes ?

Il faut séparer les choses. La mise en place des délégations spéciales procède d'une procédure administrative, alors que les poursuites à l'encontre des personnalités que vous citez relève d'une procédure judiciaire. Ce sont deux choses totalement différentes. Seulement, la coïncidence, le contexte dans lequel tout cela se passe peut donner à interprétation. Mais je ne le crois pas et je ne le pense pas. Il faut respecter le droit positif en vigueur. Dans l'espèce, M. Jacques Ehouo est député et, en tant que tel, il bénéfice d'une immunité parlementaire. Cette immunité a une double portée. D'abord, au regard de l'article 14 de la Constitution, elle entraîne une irresponsabilité fonctionnelle. C'est à dire que le député, dans l'exercice de ses fonctions, peut tout dire sans être inquiété. Il ne peut être poursuivi ou arrêté parce qu'il a émis une opinion dans le cadre et l'exercice de ses fonctions de député.

L'article 92 de la même Constitution donne un autre volet de cette immunité, l'inviolabilité de la personne du député. Autrement dit, le député ne peut être poursuivi, encore moins arrêté. Sauf en cas de flagrant délit ou sauf si, en dehors du flagrant délit, le Parlement donne son autorisation pour son arrestation ou sa poursuite ou bien lorsque l'Assemblée nationale n'est pas en session. C'est le bureau de l'Assemblée nationale qui donne cette autorisation. Donc je pense qu'il y a lieu de suivre ces procédures pour que notre démocratie ne souffre pas.

Est-ce que cela ne conduira pas à une crise des différentes institutions ?

Non, je ne le pense pas. Nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs. Dans l'espèce, le pouvoir judiciaire ne peut agir qu'avec l'accord du pouvoir législatif. À défaut nous serions en pleine violation constitutionnelle. Mais n'oublions pas aussi que ce n'est pas parce qu'on est un homme politique qu'on ne peut pas être poursuivi. Donc il ne faut pas mélanger les choses.

La Constitution ivoirienne prévoit-elle un mécanisme pour démettre un Président de l’Assemblée nationale ? 

Il faut rappeler que le Président de l'Assemblée nationale est avant tout un député. Or, dans notre arsenal institutionnel juridique, ni le Président de la République, ni aucune autre personnalité, même avec les pouvoirs de crise du Président de la République prévus par l'article 73, ne peut démettre un député. Le président de l'Assemblée nationale est élu par ses pairs, donc seuls ses pairs peuvent le démettre. Même si, expressément, ni la Constitution, ni le règlement intérieur de l'Assemblée nationale n'en parlent. Mais par la coutume constitutionnelle et par le biais de l'interprétation juridique, celui qui nomme ou qui élit peut révoquer. Donc les parlementaires peuvent, pour des raisons qui leur sont propres, démettre le Président de l'Assemblée nationale. Également, à tout moment une personne investie d'une fonction publique peut, pour des raisons qui lui sont personnelles, demander à en être déchargée et donc présenter sa démission à qui de droit.  Nous avons connu un cas récent en Tunisie, mais le problème, dans notre contexte, est que cela va alimenter la crise politique ouverte au sommet de l'État entre le chef de l'Exécutif et celui du Parlement.

Ouakaltio OUATTARA

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