Limogé de la tête de la direction de l’Institut national de la formation sociale en 2015, puis du poste de Conseiller technique au ministère de la Femme, de la Protection de l’enfant et de la Solidarité, Mamadou Traoré fait partie de ces cadres du Rassemblement des républicains (RDR) qui ont associé leur image, depuis 2002, à celle des Forces nouvelles (FN), conduites par Guillaume Soro (Président de l’Assemblée nationale). JDA l’a rencontré pour en savoir plus sur l’atmosphère au sein des ex-FN et du RDR, à deux mois du congrès de ce parti.
Journal d’Abidjan : Nous avons connu un début d’année mouvementé, et cela continue d’ailleurs. Faut-il craindre des jours sombres pour notre pays ?
Mamadou Traoré : J’avoue personnellement que quand on écoute les conversations de nos populations et qu’on suit les réseaux sociaux, qui sont devenus aujourd’hui le baromètre de l’opinion publique, quand on tend les oreilles au niveau international, on se rend compte que tout le monde a peur pour l’avenir. Les bruits de bottes et la crispation politique qui règne font que nous avons l’impression de revivre la tension qui prévalait en 1998 et 1999 et qui a malheureusement abouti au coup d’État de 1999. Mais je reste optimiste. Je suis convaincu que la sagesse va gagner tous nos responsables politiques. Nos leaders vont finir par se parler et par se rendre compte qu’aucun d’entre eux n’a intérêt à ce que le pays s’embrase.
En tant que cadre du RDR, ne pensez-vous pas que la tension reste pourtant très vive à la veille du congrès ?
J’ai bien peur que lors du congrès, si les organisateurs n’arrivent pas à canaliser les choses, il y ait des réactions qui puissent jouer contre l’unité du parti. Lorsque nous faisons le point des réactions des militants lors des pré-congrès éclatés, on se rend compte qu’ils en ont gros sur le cœur. Les cadres ont promis de donner une suite favorable à leurs préoccupations, mais cela n’a pas pour autant dissiper la colère. Il faudra faire en sorte que le congrès n’enregistre pas de réactions qui puissent aller à l’encontre de l’unité du parti. Les organisateurs doivent y travailler pour que les militants ne repartent pas déçus, mais plutôt en ayant obtenu des réponses à leurs questions. Il faudra donc se battre pour que la cohésion règne dans notre case.
Vous avez été doublement victime de limogeage, de même que certains autres cadres proches des ex-Forces nouvelles. Peut-on dire que la rupture est consommée entre vous et le RDR ?
Personnellement, j’ai été peiné par ces limogeages. Je suis un militant actif du RDR depuis 1995 et je me suis engagé auprès des Forces nouvelles dès 2002. Après tout ce parcours, cela fait mal de se voir sanctionné par son parti, pour lequel on a tant donné et tant perdu. Mais, en tant que croyant, je mets cela sur le compte de la volonté divine. Jusqu’à preuve du contraire, nous n’en sommes pas encore à une phase de rupture. Il y aura rupture quand les ex-Forces nouvelles claqueront la porte. Tant que cela n’est pas fait et que nous nous considérons comme des cadres du RDR, nous n’en sommes pas là. Quoique, il ne faut pas se voiler la face, les prémices d’une rupture sont réunies. Mais à partir du moment où le président du parlement, Guillaume Soro, a décidé de rencontrer le Président Ouattara pour demander pardon en son nom et au nôtre, c’est-à-dire nous, ses proches, nous sommes convaincus que les choses vont s’arranger après cela et que le père et le fils vont ramener l’unité au sein de la famille. Pour moi, la rupture n’est donc pas consommée.
Vous le dites, mais le constat est que les cadres des ex-FN sont de moins en moins visibles dans les réunions de bureau politique du RDR. N’est-ce pas un signe de divorce ?
C’est un signe que le RDR doit percevoir comme un mécontentement de ses frères de lutte, qui dénoncent le traitement qui leur est réservé. Nous avons connu certaines réactions frustrantes. Certains d’entre-nous n’étaient pas considérés comme des militants de la première heure du RDR, car ayant fait partie des ex-Forces nouvelles. Du coup, il s’est développé à leur égard un sentiment de rejet. C’est cela qui explique le retrait de certains du siège du parti. Il faut donc que nous soyons rétablis dans nos droits de militants pour que le linge sale soit lavé en famille. N’oublions pas que le RDR est né de frustrations mal contenues.
Des cadres proches des ex-FN ont attaqué sans gants le RDR, et même le Président Ouattara. Dans cette ambiance, les réactions de certains de vos proches sur les réseaux sociaux ne sont pas tendres envers votre parti. Qu’en pensez-vous ?
Je reconnais que nous avons enregistré des réactions extrémistes de la part de certaines personnes qui nous sommes proches. Je le regrette. Mais le climat s’y prêtait, car nous avons quelque peu été poussés à bout par certaines sorties des cadres du parti. Il faut donc conclure que ce genre de réactions viennent de tous les camps au sein du RDR. Il faut calmer les esprits et mettre fin à ce genre de dérives. Tout cela devra se faire dans un climat apaisé, où nos leaders se parlent et se font confiance. La division actuelle fait plutôt le lit de nos adversaires et de nos potentiels concurrents à la course au pouvoir, qui attendent que nous nous affaiblissions pour en tirer profit. Beaucoup de militants et de cadres des ex-Forces nouvelles se sentent frustrés au sein du parti. Il faut libérer la parole pour que tous s’expriment.
2020 pour vous, c’est maintenant ou c’est loin ?
Ceux qui disent que 2020 est loin sont ceux-là même qui préparent l’échéance. Voyez-vous, pendant que le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) nous dit de ne pas parler de l’élection présidentielle de 2020, il active ses réseaux pour s’y préparer. Le RDR a toujours affiché sa volonté d’aller à l’élection de 2020 en regroupement. Il ne faut donc pas se couper de la réalité, car tous les Ivoiriens pensent à cela. Il faut donc avoir le courage d’aborder la question et de la trancher. Il faut faire baisser la tension, car 2020 n’est pas loin. C’est demain et il faut préparer cela dès aujourd’hui.
Ouakaltio OUATTARA